Chloé Fernström

Avocat en droit commercial à Bordeaux

La class action nouvelle est arrivée !

L’action de groupe introduite en droit français par la loi Hamon du 17 mars 2014 est entrée en vigueur le 1er octobre 2014, à la suite de l’adoption du décret d’application du 24 septembre 2014, date à laquelle a également été publiée une circulaire visant à préciser les dispositions de la loi Hamon relatives à l’action de groupe.

Ce mécanisme de recours collectif a pour but de permettre à un ensemble de consommateurs placés dans une situation similaire ou identique d’obtenir, dans le cadre d’un seul procès, la réparation des préjudices individuels ayant pour cause commune un manquement d’un ou des mêmes professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles à l’occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services ou lorsque ces préjudices résultent de pratiques anticoncurrentielles.

1. Règles de procédure

La procédure mise en place, qui fonctionne selon le principe de l’opt in, se déroule en trois temps, soit :
– une première phase contentieuse au cours de laquelle la juridiction saisie statue et, le cas échéant, engage la responsabilité du professionnel et établit le groupe de consommateurs à l’égard desquels la responsabilité du professionnel est engagée et en fixe les critères de rattachement. Elle détermine en outre le montant des préjudices susceptibles d’être réparés pour chaque consommateur ou catégorie de consommateurs appartenant au groupe et définit les mesures adaptées pour diffuser sa décision auprès des consommateurs susceptibles d’appartenir au groupe.
– une seconde phase non contentieuse (opt in) au cours de laquelle les consommateurs concernés disposent d’un délai déterminé pour adhérer au groupe, lequel est compris entre deux mois minimum et six mois maximum après l’achèvement des mesures de publicité.
– une troisième phase contentieuse au cours de laquelle il est procédé à la liquidation des préjudices.
Ainsi, contrairement aux Etats-Unis où le nombre de victimes est connu avant le début de la procédure, la « class action » à la française prévoit un procédé inversé où ce n’est qu’après la reconnaissance définitive de la responsabilité du (des) professionnel(s) par le juge qu’une large publicité sera faite afin de mobiliser les victimes potentielles, dont le nombre restera inconnu jusqu’à l’issue de cette procédure d’opt in.

Cette procédure peut être simplifiée lorsque les consommateurs concernés sont déjà identifiés et ont tous subi un préjudice de même montant.

La loi prévoit également des spécificités procédurales pour les actions de groupe visant à réparer des préjudices résultant de pratiques anticoncurrentielles, et notamment la nécessité que le comportement ait préalablement été sanctionné par une décision de l’Autorité de la concurrence, devenue définitive.

2. Conséquences pratiques pour les entreprises

Si, à première vue, plusieurs aspects de la nouvelle loi ont pour effet d’encadrer, sinon réduire, le risque encouru par les professionnels face à ce nouveau dispositif, il n’en demeure pas moins que l’action de groupe constitue un risque à anticiper et à ne pas négliger.

• Le temps judiciaire vs. le temps médiatique

La longueur de la procédure mise en place pourrait se révéler dissuasive pour les consommateurs. En effet, la phase d’opt in ne pourra avoir lieu qu’au terme de l’examen des voies de recours du professionnel dont la responsabilité a été engagée, ce qui, en pratique, peut prendre des années. La procédure sera toute aussi longue lorsque l’action aura été engagée pour obtenir réparation d’un préjudice découlant d’une pratique anticoncurrentielle puisque la décision préalable de l’Autorité de la concurrence constatant l’infraction doit également être définitive préalablement à l’introduction de l’action. Ainsi, très concrètement, dans l’hypothèse où le professionnel utiliserait l’ensemble des voies de recours à sa disposition, un délai d’une dizaine d’année pourrait potentiellement s’écouler préalablement à la mise en œuvre de la phase d’opt in (recours devant la cour d’appel, pourvoi en cassation, renvoi devant une cour de renvoi, arrêt de la cour d’appel de renvoi, nouveau pourvoi en cassation).
Cela étant, au-delà des délais judiciaires, il convient de ne pas négliger le risque de sanction médiatique auquel les entreprises devront faire face en réagissant, dès leur mise en cause par une association de consommateurs agréée, par la diffusion immédiate d’un argumentaire en défense auprès des médias, de ses salariés, clients et actionnaires.

• Un champ d’application extensible

Le champ d’application de ce nouveau mécanisme est pour l’heure limité à la réparation de préjudices résultant des domaines spécifiques du droit de la concurrence et de la consommation et exclut les préjudices non patrimoniaux. Néanmoins, cette limitation pourrait n’être que de courte durée, l’élargissement à des domaines tels que l’environnement ou la santé étant d’ores et déjà envisagé.

• Non-consommateurs : une exclusion temporaire ?

La mise en œuvre de l’action de groupe relève de la compétence exclusive des associations nationales agréées de consommateurs afin de réparer les seuls préjudices subis par des personnes physiques, excluant ainsi toute possibilité d’action de sociétés françaises ou étrangères à l’égard d’un professionnel. Cette limitation pourrait toutefois être remise en cause à l’avenir par l’accès à l’action de groupe par exemple aux syndicats professionnels. Une action symbolique militant en ce sens a d’ores et déjà été engagée par le Conseil National des Professionnels de l’Automobile à l’encontre d’une marque automobile, au nom des distributeurs de celle-ci ayant souffert un préjudice du fait du retrait de la marque en France.

En somme, si le champ d’application de ce nouvel arsenal judiciaire est relativement limité, il n’en demeure pas moins qu’il expose les professionnels à un risque certain de voir leur responsabilité engagée pour des montants potentiellement très élevés, outre l’atteinte à la réputation et à l’image de marque de l’entreprise dont la responsabilité est engagée au titre d’une action de groupe qu’il convient de ne pas négliger et qui contraindra les entreprises concernées à faire preuve d’une grande réactivité.