Chloé Fernström

Avocat en droit commercial à Bordeaux

Copyright des photographes et droit à l’image des bloggeurs dans le cadre de la fashion week

En marge de la Fashion Week printemps-été 2018 qui se déroule ces jours-ci à Paris, le mouvement #NoFreePhotos a été créé par un groupe de photographes « street style » dénonçant l’utilisation non consentie de leur photographies par les marques, les influenceurs et les bloggeurs, lesquels sont nombreux à diffuser ces photographies, notamment sur les réseaux sociaux, sans autorisation et, bien souvent, sans mention du nom de leur auteur.

Face aux revendications des photographes, nombre de blogueurs et influenceurs dénoncent, à leur tour, l’utilisation et la diffusion, par les photographes, de photographies les représentant et ce, sans leur consentement préalable, ce qui constituerait selon eux une atteinte à leur droit à l’image.

Compte tenu des prises de position, parfois confuses, que l’on peut lire sur les réseaux sociaux, il importe d’opérer un rappel des règles applicables en matière de droit d’auteur et de droit à l’image.

1. Sur le droit d’auteur des photographes

Le photographe est titulaire des droits d’auteur attachés aux photographies qu’il réalise. En effet, aux termes de l’article L.111-1 du Code de propriété intellectuelle, « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial (…) ».

Ainsi, le photographe est titulaire, à l’égard de ses photographies :

  • de droits patrimoniaux, c’est à dire des droits d’exploitation, d’ordre économique, de l’œuvre (1.1),
  • de droits moraux perpétuels, imprescriptibles et inaliénables attribuant la paternité d’une œuvre à son auteur (1.2).

1.1. Sur les droits patrimoniaux

Aux termes de l’article L.122-1 du Code de propriété intellectuelle, «  le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction.  »

Ainsi, dès lors qu’il réalise un cliché original, le photographe est titulaire du droit de représentation, c’est à dire du droit de communiquer ce cliché au public, et du droit de reproduction correspondant au droit de fixer le cliché sur un support (édition, affichage, télévision, Internet…) en vue de sa communication au public.

S’agissant du caractère original de l’œuvre, condition sine qua non de sa protection au titre des droits d’auteur, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé, dans son arrêt Eva Marie Painer du 1er décembre 2010, que la personnalité du photographe doit ressortir des « choix libres et créatifs » qu’il effectue lors de la réalisation de l’œuvre. Ainsi, le choix de la pose ou de l’éclairage, le choix de l’angle de prise de vue ou du cadrage lors de la prise de la photographie, ou encore le choix du lieu de shooting sont autant d’éléments traduisant l’empreinte de la personnalité du photographe, rendant ainsi l’œuvre originale.

Les droits patrimoniaux attachés à une œuvre originale peuvent être cédés par l’auteur à un tiers, moyennant un accord écrit.

Une telle cession peut être limitée dans le temps, dans son objet, dans son lieu ou encore dans sa destination ; elle peut être gratuite ou onéreuse, exclusive ou non-exclusive.

Ainsi, un acte constatant la cession de droits d’auteur doit être très précis et spécifier le domaine exact d’exploitation des droits cédés, étant précisé qu’en cas de doute sur le périmètre de la cession, les juges opèrent généralement une interprétation favorable au photographe, en considérant que tout ce qui n’a pas été expressément cédé reste la propriété de l’auteur.

En dehors d’un tel accord, toute utilisation, diffusion ou reproduction d’une photographie constitue une atteinte aux droits d’auteur patrimoniaux du photographe qui en est l’auteur, ouvrant droit à réparation pour ce dernier.

En France, les montants indemnitaires retenus par la jurisprudence au titre de la violation des droits patrimoniaux d’un photographe sont variables en fonction des circonstances de chaque espèce et peuvent atteindre plusieurs milliers d’euros par publication litigieuse.

En effet, les montants indemnitaires alloués aux photographes, qui ont pour objet de réparer leur entier préjudice, tiennent compte des spécificités propres à chaque affaire et sont susceptibles d’être accrus par exemple en fonction de l’ampleur de l’audience touchée par la diffusion non consentie, sa durée, ou encore la notoriété du photographe concerné.

1.2. Sur les droits moraux

L’article L.121-1 du Code de propriété intellectuelle énonce :
« L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre.
Ce droit est attaché à sa personne.
Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.
Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur.
L’exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires. »

Alors que les droits d’exploitation de l’œuvre peuvent faire l’objet d’une cession, par le photographe, à un tiers, les droits moraux, inalinéables, sont d’ordre public, de sorte que l’on ne peut y déroger.

Ainsi, toute utilisation ou diffusion d’un cliché protégé par le droit d’auteur doit nécessairement faire mention du nom du photographe ou de son pseudonyme. Toute clause contractuelle contraire sera réputée non écrite.

L’absence de « crédit photo » constitue donc systématiquement une atteinte aux droits moraux du photographe et engage la responsabilité de l’auteur de cette omission en l’obligeant à réparer le préjudice causé.

En somme, le fait de diffuser une photographie originale quelque soit le média ou le support, sans autorisation expresse du photographe qui en est titulaire, et sans que le nom de ce dernier ne soit mentionné constitue une double atteinte aux droits patrimoniaux et moraux de l’artiste, ouvrant droit à réparation de ces deux préjudices distincts.

Au vu de ce qui précède, afin d’éviter d’éventuels contentieux avec les photographes, il est recommandé aux bloggeurs et influenceurs de toujours solliciter l’accord du photographe, idéalement écrit, préalablement à toute diffusion de photographie dont ils ne sont pas l’auteur. Dans la mesure où les photographes street style ont aussi un intérêt à voir leur travail diffusé pour augmenter leur notoriété, un tel accord ne sera, en principe, pas difficile à obtenir et permettra donc facilement de parvenir à une diffusion régulière de la photographie. A condition, bien évidemment, de ne pas omettre de mentionner le nom du photographe dans la légende, de manière bien visible.

2. Sur le droit à l’image des influenceurs

Face aux revendications des photographes soutenant la campagne #NoFreePhotos, de nombreux bloggeurs contre-attaquent en dénonçant l’utilisation de clichés les représentant, par les photographes, laquelle serait constitutive d’une atteinte à leur droit à l’image.

La question de la protection du droit à l’image des bloggeurs et influenceurs, en marge de la Fashion Week, est assez délicate.

En effet, les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentale et 9 du Code civil garantissent, certes, à toute personne le respect de sa vie privée et de son image (2.1). Toutefois, cette protection peut se heurter à certaines limites (2.2).

2.1. Sur la protection du droit à l’image

L’image d’un individu est l’un des attributs de sa personnalité dans la mesure où elle dégage son originalité et lui permet de se différencier de ses congénères. Les juges considèrent donc que droit de la personne à la protection de son image constitue l’une des composantes essentielles de son épanouissement personnel.

Dans un arrêt de 2009, la Cour européenne des droits de l’homme a défini le droit à l’image comme un droit qui « présuppose principalement la maîtrise par l’individu de son image. Si pareille maîtrise implique, dans la plupart des cas, la possibilité pour l’individu de refuser la diffusion de son image, elle comprend en même temps le droit de s’opposer à la captation, la conservation et la reproduction de celle-ci par autrui  » (CEDH, 15 janv. 2009, n° 1234/05, Reklos et Davourlis c/ Grèce).

La jurisprudence a reconnu de longue date que ce droit bénéficie à toute personne, quelles que soient sa notoriété, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir.
Ainsi, un bloggeur ou un influenceur a, bien évidemment, droit au respect de son image.

Cela étant, ce droit peut connaître des limites en fonction du contexte dans lequel l’image est fixée et diffusée.

2.2. Sur les limitations du droit à l’image

Il ressort de la jurisprudence, tant française qu’européenne, que le droit à l’image peut se heurter à l’impératif d’information du public (2.2.1) ou à la liberté d’expression de l’artiste (2.2.2).

2.2.1 Le droit à l’image peut se heurter à l’impératif d’information du public

La Cour européenne des droits de l’homme a jugé depuis longtemps que la protection du droit à l’image peut se heurter à l’impératif d’information du public.
Il a ainsi été jugé qu’une personne ne peut revendiquer le bénéfice de son droit à l’image pour s’opposer à la diffusion d’un cliché en cas de :

  • nécessités liées à un sujet d’actualité présentant un « intérêt extrême pour le public » (CEDH, 24 juin 2004, Von Hannover c/ Allemagne),
  • contribution apportée par des photos ou des articles dans la presse à un débat d’intérêt général (notamment, CEDH, 14 févr. 2008, n° 20893/03, July et Libération c/ France. – CEDH, 6 avr. 2010, Flinkkila c/ Finlande),
  • divulgation préalable de l’information ou de complaisance habituelle de la personne mise en cause (CEDH, 23 juill. 2009, Hachette Filipacchi Ass. c/ France).

En France, les juridictions judiciaires ont été longtemps très protectrices de la vie privée, mais sous l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, elles ont été amenées à faire une place plus large au droit à l’information du public.

Aussi, dès 1973, il a été jugé que : « En vertu de la liberté de la presse et du droit à l’information, il appartient aux journalistes professionnels de porter à la connaissance du public tout événement qui leur paraît présenter quelque intérêt » (TGI Paris, 31 août 1973).

Il en a découlé un principe selon lequel l’intérêt légitime du public peut primer sur le droit au respect de la personnalité des individus dès lors qu’il est dicté par les nécessités de l’information.

Ainsi, il est désormais admis que le droit au respect de son image peut être limité, par exemple lorsque l’intéressé exerce une activité publique ou en cas d’événement d’actualité.

Aussi, s’agissant des bloggeurs ou influenceurs photographiés pendant la Fashion Week, ceux-ci pourraient perdre le bénéfice du droit à la protection de leur image dans la mesure où ces clichés semblent poursuivre un but d’information autour d’un évènement d’actualité. Mais à certaines conditions seulement.

En effet, toute exception à la protection des droits à la vie privée et à l’image du fait d’un événement d’actualité, en ce qu’elle restreint un droit de la personnalité essentiel, n’est admise qu’à la stricte condition que :

  • le cliché soit en relation directe avec l’événement d’actualité qu’il est sensé illustrer ;
  • la photographie soit respectueuse de la dignité de la personne et non dévalorisante ou humiliante ;
  • l’événement relaté soit important, l’appréciation de l’importance de l’événement étant laissée à l’appréciation souveraine des juges.

Il peut également être tenu compte de l’accord implicite de l’individu concerné de voir son image diffusée, par exemple si ce dernier pose devant l’objectif « en souriant à l’objectif auquel il ne se dérobe nullement » (TGI Paris, 26 octobre 2016).

En somme, tout est question de contexte et d’analyse au cas par cas.

Dans l’hypothèse où un bloggeur est photographié, assis dans le public d’un défilé de la Fashion Week, il ne pourra, en principe, s’opposer à la diffusion de son image puisque le cliché est directement en lien avec cet évènement.

En revanche, si ce bloggeur est photographié dans la rue, à Paris, pendant la Fashion Week, la réponse sera plus délicate dans la mesure où un lien direct entre le cliché et l’évènement ne sera pas nécessairement évident à établir.

A titre d’exemple, dans l’hypothèse d’une photographie prise devant l’entrée d’un lieu de défilé, l’exception au droit au respect de son image s’appliquerait très probablement. De la même manière, si un influenceur était photographié dans une rue parisienne éloignée d’un lieu de défilé, vêtu d’une manière peu ordinaire pour se rendre à une manifestation de la Fashion Week, l’exception pourrait certainement trouver à s’appliquer puisque le cliché illustrerait de manière directe, et avec une certaine pertinence, cet évènement d’actualité.

En revanche, la diffusion de la photographie d’un blogueur, prise dans la rue en dehors de tout évènement de la Fashion Week ou sans lien évident avec un tel évènement, pourrait éventuellement constituer une atteinte au droit à l’image de ce dernier. Et ce, à plus forte raison, si le bloggeur ne pose pas devant l’objectif. La cour de Versailles a par exemple jugé en 2011 qu’une photographie « prise au naturel, un jour ensoleillé, dans un lieu public, en marge d’un événement promotionnel » constituait une violation du droit à l’image dans la mesure où Il n’était pas démontré que l’intéressée, « qui apparaît ni maquillée, ni coiffée, le regard détourné de l’objectif, ait consenti à ce cliché » (CA Versailles, 17 mars 2011).

Pour résumer, chaque cas requiert une analyse spécifique de la personne photographiée, de la photographie en elle-même, et du contexte dans lequel elle a été prise.

Cela étant, compte tenu de l’événement d’actualité que représente la Fashion Week et du contexte dans lequel sont généralement pris les clichés des bloggeurs ou influenceurs, il est probable qu’en cas de contentieux, le bénéfice de leur droit à l’image serait écarté au profit de l’impératif d’information du public.

2.2.2 Le droit à l’image peut se heurter à la liberté d’expression de l’artiste

La jurisprudence reconnaît un droit à la création des photographes, ayant par exemple permis la publication d’un recueil de photographies d’anonymes fixées dans la rue, sous réserve du respect de la dignité et du droit à la vie privée des modèles.

Le Tribunal de grande instance de Paris a ainsi pu juger que :

  • « La créativité du photographe et la liberté d’expression de cet artiste n’ont ainsi pour limites que le respect de la dignité de la personne représentée ou les conséquences d’une particulière gravité qu’entraînerait la publication des clichés pour le sujet » (TGI Paris, 25 juin 2007) ;
  • « Seule une publication contraire à la dignité de la personne représentée ou revêtant pour elle des conséquences d’une particulière gravité est de nature à constituer une atteinte au droit à l’image susceptible de réparation  » (TGI Paris, 9 mai 2007).

De même, dans un arrêt de 2008, la cour d’appel de Paris a adopté la motivation suivante :
«  Considérant que s’il résulte des pièces du dossier que les traits d’Isabelle d. de PUYSEGUR sont reconnaissables et qu’il n’est pas contesté que le cliché a été pris par le photographe dans un lieu public sans le consentement de l’appelante, celle-ci ne démontre pas s’être opposée à la prise du cliché, alors qu’il résulte d’une planche photographique produite par François Marie B. que celui-ci a pris non pas un seul mais plusieurs clichés d’Isabelle d. de PUYSEGUR qui apparaît très calme et dont les premières réclamations ont été adressées le 29 novembre 2005, après la parution de l’ouvrage, au photographe, aux éditions GALLIMARD et à la villa Médicis ;

Considérant que ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une œuvre d’art contribuent à l’échange d’idées et d’opinions indispensables à une société démocratique (…) ;

Considérant que la protection des droits d’autrui et la liberté d’expression artistique revêtent une identique valeur et qu’il convient de rechercher leur équilibre et de privilégier une solution protectrice de l’intérêt le plus légitime ;

Considérant que le droit à l’image doit céder devant la liberté d’expression chaque fois que l’exercice du premier aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou de communiquer des idées qui s’expriment spécialement dans le travail d’un artiste, sauf dans le cas d’une publication contraire à la dignité de la personne ou revêtant pour elle des conséquences d’une particulière gravité. »

Ainsi, si un photographe devait diffuser des photographies de bloggeur prises dans la rue à des fins purement artistiques, ces derniers ne pourraient en principe s’opposer à la diffusion de leur image qu’à condition d’être en mesure de démontrer une atteinte à leur dignité ou à leur vie privée.

En conclusion, si les chances de succès d’une réclamation d’un bloggeur, photographié en marge de la Fashion Week, peuvent sembler compromises, seule une analyse au cas par cas permettra d’évaluer, en fonction du contexte précis de la publication litigieuse, l’impact de l’impératif d’information du public et/ou de la liberté d’expression artistique sur son droit à l’image.

Cet article a été publié sur le site Village de Justice le 28 septembre 2017 ( voir l’article ici : www.village-justice.com/articles/copyright-des-photographes-droit-image-des-bloggeurs-dans-cadre-fashion-week,26012.html ) et sur le site ImageCourtesy.org le 29 septembre ( voir l’article ici :imagecourtesy.org/fr/article/copyright-des-photographes-et-droits-des-modeles ). ImageCourtesy.org publie aussi une traduction en anglais ( voir la version anglaise ici : imagecourtesy.org/article/photographers-copyrights-and-models-rights ).